J’erre en silence dans ce lieu qui me semble si étranger. J’erre ici depuis ce jour fatidique où ma vie a changée à tout jamais… Je porte sur mon visage un regard triste et profond commun aux gens que je croise, parfois, dans ce lieu que je nomme l’ « entre monde ». Par moment, de lourds souvenirs me reviennent en tête, comme celui de la soirée qui a été la dernière de ma sombre vie.
Nous étions jeunes, insouciants. Elle devait avoir seize ans, j’en avais dix-huit. C’était la belle vie, le temps des vacances, le temps des amours. Depuis quatre ans, nous formions un couple; la plus belle chose qui était arrivée dans ma vie. En fait, l’unique bonheur qui m’avait été offert tout au long de mon existence. Une existence qui avait été, certes, trop courte.
Il est étrange de savoir que l’on peut perdre tout ce qui nous tient à cœur du jour au lendemain, sans avertissement, et sans notre consentement. La vie est injuste. Au gré des saisons, le temps file et apporte avec lui ces petites choses que l’on aimerait bien se souvenir et il laisse graver, profondément, ce qu’on désire oublier. Pourquoi est-ce toujours ainsi? Pourquoi ne peut-on oublier les horreurs du passé? Même la mort ne les efface pas totalement, car une partie d’elles restent là, enfouie au plus profond de notre mémoire.
Je n’ai jamais voulu lui faire tout ce mal, pour rien au monde je ne l’aurais blessé de mes mains. C’était mon ange, mon rayon de soleil, et aujourd’hui, elle semble s’être fanée comme une fleur à l’aube de l’automne. Je regrette tellement ce que j’ai fait. Il m’arrive encore de pleurer quand j’y pense, car je revois encore son sourire, et j’entends son rire chaque fois que, dans mes songes, son visage doux et radieux m’apparaît. C’est pour moi la pire souffrance qu’on peu m’infliger.
Un soir de novembre, je m’étais rendu à une fête de retrouvailles des étudiants de mon école secondaire. Ma belle ne m’y accompagnait pas. Je passais la soirée avec des amis de longues dates, et l’alcool coulait à flot. La soirée avançait, et je n’étais plus vraiment responsable de mes actes; la boisson prenait le dessus sur ma raison et ma conscience. J’ai alors fais des choses que je regrette amèrement, mais comme on me l’a toujours dit : « On ne peut revenir en arrière. »
Après notre beuverie, comme des gens irresponsables, nous avions pris notre voiture. Personne n’avait songé aux pauvres innocents qui paieraient de leur vie pour nos conneries. Non, nous n’y avions même pas pensé, et pourtant, j’aurais dû être le premier à réagir; j’avais perdu ma mère et ma sœur de cette façon, il y a trois ans. Mais l’alcool endormait bien les craintes et les souvenirs; d’ailleurs, c’est l’un de ses bienfaits, lorsque l’on sombre dans la mélancolie et la déprime.
J’ai maintenant du mal à respirer. Mon cœur bat à la charade, car je sais que je vais revivre, encore une fois, la douleur de ma mort. Je revois ces images que je voudrais pour toujours oublier. La honte, la culpabilité et la haine m’envahissent, car je me déteste, je déteste ce que j’ai fait.
J’avais pris la route, complètement ailleurs. Je ne portais pas attention à ce qui se passait à l’extérieur, ni même à l’intérieur de ma propre voiture. J’avais pris la mauvaise habitude de fumer en conduisant, et ce n’était pas l’alcool qui me fit oublier cette habitude. Je ne voyais pas les mégots de cigarette qui traînait sur le plancher jonchés de papiers et de cartons; je ne voyais pas non plus les flammes qui naissaient peu à peu sous mes pieds. Ce n’est que lorsque la chaleur fut insupportable, et que la fumée cacha complètement ma vue que je compris ce qui arrivait…
Tout ce passa si vite; je n’aurais jamais pu éviter le véhicule qui se tenait devant moi, au feu rouge. J’étais dans un état de panique totale, et la boisson se mêlant à l’adrénaline, je ne pensais pas une seule seconde à freiner. Le choc fut terrible; un séisme à l’intérieur de moi-même, comme si la foudre m’avait frappé de pleins fouet.
On avait sorti mon corps des décombres de la voiture, une fois le feu maîtriser, et le danger d’une explosion écartée. Mais il était déjà trop tard, car j’avais sombré dans l’infini tunnel de la mort, enfin, c’est ce que je croyais. Mon ombre flottait au milieu de ce désastre et c’est là que je l’ai vu apparaître, en larmes. Mon cœur, bien qu’il fût éteint en même temps que moi, s’était brisé en mille morceaux, tant sa tristesse me blessa.
Je sais aujourd’hui pourquoi ma douce amie pleurait; dans la voiture que j’avais percutée se trouvait sa sœur et son grand-père, et tout deux étaient morts sous le choc de l’accident. Jamais je ne les ai croisé dans l’entre monde, et je sais que je n’en sortirai jamais, car seul son pardon m’accorderais l’accès à un monde meilleur. Ma belle est comme une épave à la dérive, perdue sur un océan de larmes. Elle ne cesse de pleurer depuis leur mort, et je sais que jamais elle ne me pardonnera…
Moi qui croyais que lorsque la mort nous prenait, on ne souffrait plus…
Commentaire dans ce topic, puisqu'il ne s'agit que d'une nouvelle et non pas une histoire à suivre. ^^